Sortie culturelle « Sur les pas du général de Boigne », le mercredi 17 mai 2017

sortie chamberyLors de la conférence donnée le mercredi 12 avril 2017 par Monique Dacquin, à la maison Saint-Anthelme de Belley, sur le thème Le général de Boigne (1751-1830), Chambéry et l’Avant-Pays savoyard, il avait été décidé de la compléter par une visite culturelle intitulée Sur les pas du général de Boigne. Celle-ci s’est déroulée le mercredi 17 mai 2017.

Priorité était, bien entendu, donnée à l’ancienne capitale du duché de Savoie, là où Benoît Leborgne est né, et où il a passé sa jeunesse et son adolescence, avant que d’y revenir à un âge mûr. A l’occasion du trajet Belley-Chambéry, Bernard Kaminski brossa synthétiquement, pour la trentaine de participants, l’évolution de la Savoie Propre au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, en lien, malgré la ligne de démarcation du Rhône, avec le Bas Bugey et le Lyonnais. En une dizaine de tableaux, il souhaitait ainsi rappeler les vicissitudes qui affectèrent cette région frontalière, dans son contexte sardo-piémontais, ainsi que le progressif glissement des mentalités, au long de cette singulière période de transition qui couvrit le siècle des Lumières et celui des nationalismes. (Le contenu synthétique de ces informations peut être consulté sur notre site, sous la rubrique « Conférences »).

La visite conduite par Monique Dacquin, guide conférencière, débuta par le centre névralgique qu’a toujours été la place Saint-Léger, plus précisément dans ce qui était alors appelée la « dizaine » de la rue Tupin, là où les parents du futur général possédaient un commerce sous les cabornes. En correspondance avec la gravure que Monique Dacquin a pu présenter, ces constructions consistaient en un simple appentis, s’appuyant en son faîtage sur la maçonnerie de la façade adjacente, et en sa sablière sur une simple poutraison bois. Elles constituaient ainsi des allées couvertes « bon marché ». Dans cette même « dizaine », le général, après son retour sous la restauration sarde, acquit plusieurs édifices, dont celui qui devint le nouvel hôtel de Boigne. Cet hôtel fit partie de l’importante opération immobilière que constitua la percée de la rue de Boigne, initiée par un financement partiel du général. Conduite au cours de la décennie 1825-1835, elle modifia et enrichit durablement l’urbanisme chambérien. Avec notamment ces portiques qui rappellent les anciennes cabornes de la place Saint-Léger.

Après un arrêt auprès de la fontaine des Eléphants érigée par souscription en remerciement des actions bienfaitrices du général en faveur de sa ville natale, les participants se dirigèrent ensuite vers le haut faubourg de Montmélian, sur la route d’Italie. Accueillis par Madame Fachinger, présidente de l’Association du quartier, ils visitèrent alors la maison de retraite Saint-Benoit, financée par le général et la chapelle éponyme, auparavant chapelle des Augustins.

Lire la suite dans le prochain numéro de la revue.

Commentaires donnés aux participants à la sortie à Chambéry du 17 mai 2017

En Savoie Propre, du siècle des Lumières à celui des nationalismes

La guerre de succession de Pologne : l’Alliance française (1733-1738)

  • Rousseau (1712-1778), depuis le jardin des Hauts de Maché assiste, avec enthousiasme, au passage des troupes françaises en route vers le Piémont. Charles-Emmanuel III, disait-on, céderait la Savoie à la France s’il gagnait sur l’Autriche assez de territoire.
  • Au traité de Vienne (mars 1738), l’Autriche, vaincue, cède le royaume de Naples et la Sicile à don Carlos, fils du roi d’Espagne. On rend toutefois à l’Autriche les duchés de Parme, Plaisance et le Milanais. La Sardaigne se contente de Tortone et du Novarrais. Avantage appréciable, mais trop mince, pour qu’elle cède, en conséquence, la Savoie à la France.

La guerre de succession d’Autriche : rupture avec la France et l’Espagne, et occupation espagnole (1742-1748)

  • Après la mort de l’empereur d’Autriche (1740), 2 ans de perplexité pour Charles-Emmanuel III, avant que, moyennant la promesse d’obtenir quelque chose dans le Milanais, il s’engage à soutenir l’Autriche.
  • Mais les troupes de Charles-Emmanuel sont très rapidement obligées de retraiter de Chambéry vers les cols alpins, après Noël 1742. Occupation de la Savoie par les Espagnols très pénible et ruineuse (impôts extraordinaires, réquisitions, etc.), et guerre en Piémont pendant 6 ans.
  • La leçon est rude. Charles-Emmanuel et ses successeurs ne l’oublièrent jamais. Depuis lors, la Savoie leur parut toujours, à cause de la barrière des Alpes, une province indéfendable contre toute attaque sérieuse venant du territoire français.
  • A la paix d’Aix-la-Chapelle (octobre 1748), le roi de Sardaigne recouvre Nice, la Savoie, et reçoit quelques nouveaux territoires sur le Tessin. Va suivre une longue et paisible période.

Mandrin (1753-1755) et le traité de Turin (1760)

  • Beaucoup de paysans ruinés et d’anciens soldats glissent alors vers le brigandage et la contrebande. Mandrin, natif de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, en Isère, adopte la région de Yenne, Saint-Genix et des Echelles, pour base de ses trafics (tabac et coton imprimé) et expéditions militaires.
  • Principalement dirigés contre la Ferme Générale, délégation de service public avant l’heure, en fait établissement financier privé qui a pour vocation à percevoir et gérer les droits de douane et d’enregistrement, et les impôts indirects (dont la fameuse gabelle),. Il bénéficie de complicités, notamment de certains nobles, qui l’aident financièrement, de part et d’autre du Guiers.
  • Pris par des troupes françaises en territoire sarde, au château de Rochefort, près de Saint-Genix, il sera rapidement jugé et exécuté à Valence.
  • Cette affaire est probablement à l’origine du traité de Turin (24/3/1760), ou traité des limites, qui régularise la frontière entre les deux royaumes, sarde et français. Ainsi, Seyssel-rive gauche, Chanaz et La Balme, faisant, depuis 1601 (traité de Lyon), partie du Bugey, sont échangés contre la vallée de la Valserine (chemin des Espagnols).

La liquidation de la féodalité : l’édit d’affranchissement de 1771

  • Cet édit organise, pour cause d’intérêt public, l’expropriation des seigneurs sardes. En compensation des redevances qu’ils vont perdre (servis, lods), les seigneurs doivent toucher une indemnité. Vingt ans après, la Révolution française aborda, elle-aussi, cet immense problème. Mais 14 ans après l’édit, seules 11 paroisses de Savoie Propre sur 206, avaient achevé de payer leurs seigneurs !
  • Dont celle de Chanaz, qui, de 1784 à 1789, s’affranchit de ses droits seigneuriaux, en payant 800 livres au comte de Saint-Amour, et 1387 livres à l’abbaye de Hautecombe.

La Savoie à la fin de l’Ancien Régime

  • Rien d’homogène dans la noblesse savoyarde. Elle ne forme pas un corps constitué dans l’Etat. Auprès des rares nobles d’antique origine, dits d’épée, se trouvent les nobles de magistrature et les familles d’anciens commerçants, notables et acheteurs de titres, ayant passé par des emplois honorifiques. Les Maistre, par exemple, ont dans leurs ancêtres, un meunier et un marchand du pays niçard.
  • Tous ces nobles et aussi les « principaux bourgeois » ont leurs demeures champêtres. Les maisons et les terres comptent alors plus dans les patrimoines que les valeurs. Livres et toilettes, tout ce qui vient de l’extérieur, et surtout de France, est bien accueilli par les notables. Même les esprits critiques et pessimistes finissent par croire que la sécurité et la civilisation sont des trésors acquis pour toujours.
  • Les nobles de campagne et les ruraux vivent en assez bonne intelligence. Il n’est certes pas commode au menu peuple de s’élever dans l’échelle sociale. Il le peut pourtant en s’enrichissant, en s’instruisant. Beaucoup des maisons rurales aisées de la Savoie agricole sont bâties pendant les années paisibles du XVIIIe siècle, ainsi qu’on peut le voir au millésime gravé au linteau de leur porte. La trame des jours rustiques n’est d’ailleurs pas toute de labeur et de peine. Il y a les fêtes religieuses ou privées, les noces, les baptêmes, les vogues, les pèlerinages, les danses, les chansons qui rythment le travail des champs ou abrègent les veillées d’hiver, en alternant avec les histoires, les légendes à faire peur.
  • Toutefois, il semble qu’en ces jours paisibles, une jeunesse impatiente d’activité, d’emplois, de grades, souffre de la part trop grande faite aux nobles dans les avantages et faveurs officiels. Des émigrations, des exodes aussi aventureux que celui du général de Boigne ont-ils une autre cause ? Dans la bourgeoisie moyenne combien souhaitent qu’une ère nouvelle leur donne le moyen de faire un peu plus vite apprécier leurs mérites ?
  • La religion, malgré le philosophisme, Rousseau et Voltaire, est plus puissante que jamais. Le clergé séculier dirige la jeunesse et les familles. Par contre, le régime du temporel ecclésiastique cause d’aussi nombreuses plaintes que les redevances ou les impôts. Les villageois trouvent la dîme bien pesante.

L’émigration

  • Même quand tout a réussi, il faut que chaque année une partie des Savoyards s’en aille. Pour information, en 1801, la densité de population dans le mandement de Yenne dépasse les 100 hab/km2, alors que près de 80 % des exploitations n’atteignent pas une superficie de seulement 5 ha ! Au regard des difficiles conditions d’exploitation des terres, Joseph Henri Costa de Beauregard, qui réside au château de La Chapelle-Saint-Martin, élabore en 1802 un Essai sur l’amélioration de l’agriculture dans les pays montueux, dans la ci-devant Savoie.
  • L’émigration s’impose aux nobles eux-mêmes. Victor-Amédée II, dans ses instructions de 1721, recommande déjà au gouverneur de Savoie de s’informer de ce que font les nobles et les ecclésiastiques partis chercher fortune hors des Etats. Ainsi Muffat de Saint-Amour, marquis de Chanaz, lieutenant-général en Autriche, dont nous reparlerons plus tard.
  • Mais elle s’impose plus impitoyablement encore aux paysans. Au XVIIIe siècle, les recensements qu’entraînent les édits de réforme, permettent d’apprécier l’ampleur de ces exodes temporaires ou définitifs. Sur 300 à 400 000 sujets savoyards, une trentaine de mille sont alors comptés comme émigrants. Longtemps la France ne connaît familièrement la Savoie que par ses émigrants.
  • Au milieu du XIXe siècle, l’émigration représente environ le 1/10 de la population savoyarde, et sa part peut monter jusqu’à 25 %, comme c’est le cas à Val-d’Isère.
  • On compte entre 10000 et 40000 savoyards à Paris, 10000 à Lyon et 4000 à Genève. En Savoie du Sud, l’existence de la grande route de Lyon (ou Paris) – Turin favorise les migrations de longue durée, accentue les liens avec la France et Paris, et fragilise les sociétés locales. Or, au cours du siècle, l’émigration tend à durer de plus en plus, voire à devenir définitive, et aussi plus « prolétarienne », plus urbaine.

La restauration des Etats sardes après la période révolutionnaire

  • A Turin, Victor-Emmanuel 1er devient un satellite de Vienne. Il lui doit non seulement son retour d’exil, mais aussi l’agrandissement de ses Etats, avec Gênes et ses territoires.
  • Les traités de Paris (1814), puis surtout de Vienne (1815), rétablissent la Savoie dans ses anciennes limites. Sauf dans la banlieue de Genève, où la Confédération suisse a obtenu l’annexion de 16 communes savoyardes, dont Carouge. Avec aussi une clause particulière, l’article 92 du traité de Vienne. Selon celui-ci (et ses imprécisions !) le Chablais, le Faucigny et la Savoie au nord d’Ugine (y compris Faverges, Aix et Yenne, voire Saint-Genix !) doivent faire partie de la neutralité suisse tout en appartenant à Sa Majesté le Roi de Sardaigne. C’était ce qu’on appela ensuite la « zone franche ».
  • On ne peut plus nettement faire comprendre aux habitants des ¾ de la Savoie que, pour des raisons stratégiques, leur pays n’est plus qu’une annexe à demi-abandonnée, en cas de conflit avec la France. Ce que confirme également l’érection des forts de l’Esseillon à compter de 1819, à la demande expresse de Metternich.

La restauration monarchique : le Buon Governo

  • Dans le cadre de la politique de la Sainte-Alliance, le duché de Savoie est soumis après 1815 à une restauration aussi complète que possible. On voit même réapparaître des châtelains, en l’occurrence royaux, car il n’est plus de seigneurs ayant droits de justice.
  • Dans le but de contenir les « factieux », Victor-Emmanuel donne au corps des gendarmes (les carabiniers) des pouvoirs extraordinaires « en cas d’urgence », et porte ainsi lui-même une sérieuse atteinte à l’autorité du Sénat de Savoie. Le nom railleur de buon governo, donné d’abord aux carabiniers, dont la plupart sont piémontais, est étendu au régime lui-même. Les libéraux à la française reprochent au gouvernement sarde d’être arbitraire et despotique.
  • En 1821, après une révolte des carbonari (républicains proches des francs-maçons et farouchement anticléricaux) et d’une partie des troupes piémontaises (notamment à Alexandrie et à Turin), mais aussi dans la péninsule italienne, le roi Victor-Emmanuel 1er est obligé d’abdiquer. En l’absence de Charles-Félix, il laisse la régence à Charles-Albert, plus libéral. Celui-ci accorde une constitution, avant que les troupes autrichiennes, aidées de troupes sardes fidèles ne rétablissent l’absolutisme, contre les troupes constitutionnalistes délaissées par Charles-Albert. C’est une nouvelle fois dans les « bagages » de l’Autriche, qu’un membre de la Maison de Savoie, en l’occurrence le frère de Victor-Emmanuel, Charles-Félix, arrive au pouvoir.
  • Dans sa politique intérieure, comme dans sa politique étrangère, Charles-Félix se fonde sur les idées religieuses et monarchistes. Il rétablit les petits évêchés de l’ancien régime (Maurienne et Tarentaise). Annecy redevient centre d’un diocèse d’où Genève est séparée. Et Chambéry demeure le siège de l’archevêché. Un peu partout, les congrégations créent de nouveaux établissements (Jésuites et Sacré-Coeur à Chambéry ; frères de la doctrine chrétienne et sœurs de Saint-Joseph dans les bourgs). Les missions et processions sont encouragées, avec édification de croix et d’oratoires, pour instruire la masse paysanne.
  • La noblesse n’a plus qu’une force sentimentale, depuis la diminution de ses biens. Les corps anciens, magistrature, corporations, communes, n’osent plus guère se permettre d’autres opinions que celles du gouvernement.

Les mouvements révolutionnaires

  • Au début des années 1830, l’Europe est agitée par des insurrections armées. En Piémont, c’est le retour des mouvements libéraux, des carbonari notamment, réprimés dix ans plus tôt.
  • Les 24 et 25 février 1831, l’expédition des « Volontaires du Rhône » veut proclamer la République en Savoie. Elle se dirige de Lyon sur la Savoie, mais est arrêtée par un escadron de dragons et des gendarmes à Meximieux. Le gouvernement de Louis-Philippe, qui a succédé à Charles X, après les Trois Glorieuses (27-29/7/1830), ne souhaite en effet pas avoir de relation conflictuelle avec le royaume sarde et l’Europe monarchiste. Certains volontaires sont « envoyés » à l’armée d’Afrique, sous escorte des gendarmes.
  • En 1833, une conspiration mazzinienne (Giuseppe Mazzini est un Génois d’origine, dont le territoire de l’ancienne République a été rattaché au royaume sarde, qui a fondé en 1831 à Marseille la « Jeune Italie »), est découverte parmi les officiers piémontais de la garnison de Chambéry. Douze d’entre eux sont fusillés.
  • En 1834, Mazzini reprend ses projets. Il espère ainsi porter la révolution en Savoie, et soulever l’Italie, par effet de dominos. En plein hiver, au début du mois de février, des troupes révolutionnaires armées pénètrent en 3 points (Annemasse, Les Echelles et Laissaud, près de Pontcharra) sur le territoire savoyard. L’échec est cuisant sur les 3 points de pénétration.
  • Enfin, du 30/3 au 5/4/1848, l’expédition dite des « Voraces » entre en résonnance avec les évènements de 1831 et 1834, mais aussi ceux du printemps des peuples en Europe. Le nom de cette équipée proviendrait d’une société de canuts lyonnais, apparue en 1846, Compagnons du Devoir, appelés « dévoirants », puis « voraces ». A nouveau, une colonne part de Lyon pour proclamer la République en Savoie. Contrairement à l’expédition de 1834, ces « révolutionnaires » sont surtout de modestes ouvriers. Certes des canuts lyonnais, mais en majorité des Savoyards émigrés en France, partis pour pallier les misères des campagnes. Chassés par la crise de l’industrie textile de 1847-1848, mal vus à Lyon en raison du chômage, ces hommes n’ont de « vorace » que le nom. Ils se veulent surtout les relais de la nouvelle République française (24/2/1848) auprès des Savoyards vivant sous la monarchie sarde. A plusieurs reprises, notamment lors des entrevues de Belley et du Bourget, les autorités de Chambéry rencontrent les chefs d’expédition pour les dissuader de poursuivre leur marche, sans y réussir. La République est proclamée le 3 avril à Chambéry. Mais le 4, un soulèvement savoyard met fin à cet épisode. L’échec est là-aussi cuisant.

Charles-Albert, du prince romantique au monarque absolu (1831-1849)

  • Pour pouvoir prendre la succession de Charles-Félix, Charles-Albert a dû prendre l‘engagement, non seulement auprès de Charles-Félix, mais aussi de Metternich, de ne point donner dans des projets de réforme lorsqu’enfin, il règnerait.
  • Pendant 16 années, il va fidèlement poursuivre les actions engagées par Charles-Félix. Alors que le Roi-citoyen gouverne la France, la Savoie et le Piémont vivent encore sous l’Ancien Régime. Charles-Albert a toujours été pieux. Avec les années, il le devient sans cesse davantage, assistant ainsi à une messe quotidienne et s’adonnant aux mortifications et au mysticisme. Point de Parlement, pas de liberté de la presse, la librairie soumise à la censure, la surveillance des mœurs et de l’instruction confiée aux prêtres, l’autorité des commandants de place maintenue : l’absolutisme règne partout sous les yeux approbateurs de Vienne. Fait symptomatique de cette absence d’évolution en Savoie et en Piémont : en 1838, aucun savoyard ne figure parmi les détenteurs des 330 actions du plus gros employeur de la Savoie qu’est alors la Manufacture d’Annecy !
  • Pendant les années 40, le malaise européen s’aggrave. Le XIXe siècle prend progressivement sa physionomie de grand siècle de la démocratie parlementaire et du nationalisme. La Sainte-Alliance se disloque. Reprenant alors ses projets de jeunesse, Charles-Albert croit être investi d’une mission divine : délivrer l’Italie du joug autrichien. Il finit par obéir à ce rêve où le romantisme des carbonari se mêle aux vieilles ambitions de la Maison de Savoie. Et de despote éclairé il devient ainsi un roi révolutionnaire.
  • Le 4 mars 1848, il publie le Statut qui donne aux Etats Sardes un Parlement élu par tous les citoyens sachant lire, écrire, et payant 20 francs d’impôts. Partout on acclame le nouveau drapeau tricolore vert, blanc et rouge qui remplace l’ancien drapeau bleu. Mais dans le Parlement de Turin qui compte plus de 200 membres, les 22 députés savoyards se sentent littéralement dépaysés.
  • Et le ciel ne tarde pas à s’assombrir. Milan et Venise se soulevant, Charles-Albert déclare la guerre à l’Empire, en comptant que le drapeau tricolore italien rallie les troupes du grand-duc de Toscane, les armées du roi de Naples et du Pape, etc. Après la défaite de Custozza, en avant de Vérone, le 25 juillet 1848, dans une situation désastreuse, il est obligé de signer un armistice le 8 août. Après quelques mois d’armistice, Charles-Albert réitère la déclaration de guerre à l’Autriche. Mais le 23 mars 1849, à Novare, tout se termine par un désastre. Dès le lendemain, il abdique.
  • Une dizaine d’années plus tard, l’action initiée par Charles-Albert va progressivement aboutir sous Victor-Emmanuel II. Elle permet ainsi la fondation de l’unité italienne, mais entraîne, par contre, la séparation entre le Piémont et la Savoie. Comme l’écrit en 1848 le médecin, homme politique et poète de Moûtiers, Antoine Jacquemoud, Les cœurs savoyards se résignent alors, sous la pression progressive des nationalismes, à rejoindre la France, vers laquelle coulent nos rivières. Tout comme les dizaines de milliers d’immigrés installés depuis longtemps à Lyon et à Paris.

Abbaye d’Hautecombe

  • On pourrait être surpris de l’appellation de cette abbaye, implantée sur la rive occidentale du lac. Mais les moines qui s’installèrent sur le rocher de Charraïa, entre 1137 et 1141, arrivaient bien ici, en provenance d’une première implantation dans une combe perchée. Celle-ci, à plus de 700 m d’altitude, surplombe bien, en fait, l’Albanais, à Cessens, à l’orient de la Chambotte et de la Montagne de Cessens. Il est vraisemblable que cette décision de transfert ait été prise en raison des relations tumultueuses qui caractérisaient les rapports des comtes de Genève et des comtes de Savoie. Plus prosaïquement même, il est probable que les revenus des terres du lieu primitif d’implantation, données par le comte de Genève, devaient s’avérer moins intéressants que ceux des donations de ses nouveaux bienfaiteurs, les moines clunisiens du Bourget, les seigneurs de Clermont et les comtes de Savoie, notamment en Avant-Pays savoyard. On observera au passage, la présence sur cette rive, de la grange de Challières.
  • A la mort d’Humbert III, en 1189, l’abbaye devient le Saint-Denis savoyard pendant trois siècles et demi. Avant, qu’elle ne périclite, et que, comme on l’a déjà vu, Charles-Félix, à partir de 1824, ne la relève. Très attaché aux origines savoyardes de sa famille, il s’y fera ensevelir.

Chautagne, château et port de Châtillon, Conjux, Chanaz et canal de Savières

  • Pour un de ses enfants, historien, l’intérêt majeur de la Chautagne serait, paradoxalement, qu’il ne s’y est rien passé d’exceptionnel. Pourtant nous pensons qu’il n’y a rien d’ordinaire à ce que, ici, pendant trente siècles, se succédèrent les occupations humaines, aujourd’hui immergées. En effet, de la fin du néolithique jusqu’au début du 1er Âge du Fer, soit vers 800 av. J.-C, nos prédécesseurs établirent alors leurs installations palafittiques préférentiellement dans les baies. A l’est du rocher de Châtillon, mais aussi à l’ouest dans les baies de Conjux et de Hautecombe. Plus au sud, on a retrouvé des implantations dans celles de Grésine, Mémard, Grand Port et la Culaz à Aix, Tresserve et Charpignat au Bourget.
  • Devant nous apparaît le rocher de Châtillon, surmonté depuis des temps immémoriaux de constructions fortifiées. C’est lui qui a longtemps donné son nom au lac. Ce qui montre bien que là s’y est longtemps trouvé le pouvoir temporel sur la région.
  • Il fut, en effet, le centre névralgique antique de cette Sapaudia qui devint Savoie. L’origine étymologique nous en a été proposée par J. Pallière > per densa paludium. L’expression « à travers ces grands marais » recouvrent en effet, d’une part, le Lavours qui, comme la Vavre, la Woëvre, le Lavaur, est bien attaché à un espace humide. Et la Chautagne, dont la forme étymologique primitive était, selon le chanoine Gros, capitanea, dérivé de caput, tête. Pour d’autres, c’était la châtaigne (chastagne). Mais, pour laquelle on pourrait également proposer une racine provenant du latin calamus (roseau) et du suffixe gaulois ana (marais).
  • Deux textes latins de la fin du IVe et du début du Ve siècle (Histoires d’Ammien Marcellin et Notitia Dignitatum) nous confirment que des implantations romaines de l’Antiquité tardive, Eburodunum et Calaronae, existaient en ces lieux.
  • Sur le rocher se trouvait un fort romain, appelé Eburodunum en Sapaudia, par opposition à ceux d’Yverdon et d’Embrun, « forteresse de l’if » dont subsistent encore les premières assises de la tour octogonale. A ses pieds était basée la flottille originaire de Bracara Augusta (sur le Rio Este au Portugal). La datation dendrochronologique des pieux du port le fait remonter à Dioclétien et à 285 ap. J.-C.. Cette datation est confirmée par un dépôt de monnaies romaines, retrouvé sur le rocher et datant du début du IVe siècle.
  • Sur la rive occidenta le, le village de Conjux a probablement pour origine étymologique le latin conjunxi, qui signifie joindre, unir, lier ensemble. Dans la chapelle bordant la voie, on a trouvé deux autels gallo-romains, dont l’un était dédié, tout comme à Belley, à la déesse Cybèle, culte souvent apporté en nos régions par les soldats romains d’origine orientale.
  • Car, sur cette rive, et sous le Landard, devait être installée une cohorte essentiellement composée de 500 fantassins romains, mais aussi de cavaliers. Probablement sur le site dit du château de Muray à Chanaz. Site dénommé Calaronae par les Romains, « montagne près du Rhône (Rhodanus) » ou « près d’une rivière », avec la racine hydronymique onna,
  • Reliant le lac de Châtillon au Rhône, le canal de Savières, la Saveria du Xe siècle, a probablement la même racine que le pagus Savogiensis du haut Moyen Âge, et donc la Sapaudia antique déjà évoquée. Il a permis le transport des voyageurs et des marchandises depuis des temps immémoriaux. Son tracé a été plusieurs fois réaménagé, notamment au XIXe siècle.
  • La légende dit qu’il fut creusé en une nuit par une demoiselle de Châtillon, nommée opportunément Xavière, amoureuse d’un gentilhomme du Bugey (Lavours ?). Et ceci afin qu’il puisse aisément venir en bateau et ainsi supprimer la distance entre leurs 2 châteaux respectifs.
  • Selon certains, l’origine étymologique de Chanaz résiderait dans les chênes. Jusqu’alors, je pensais qu’une autre version pouvait correspondre à la réalité de sa situation topographique. Notamment du latin canalis, au sens de canal. En effet, Channa en Haute Engadine (Suisse), désigne un conduit d’eau, tout comme le vieil allemand Chanali. Que l’on retrouve également dans beaucoup de hameaux savoyards dénommés Chenal, Chenaz et Chenat. Pourtant, dans un cartulaire de 1090, il est fait état de la villa près de Chasnas. On pourrait donc penser que la racine d’origine serait bien cassanos (le chêne gaulois). D’où l’intérêt, en matière d’étymologie, à examiner les différentes hypothèses avec circonspection.
  • Or, sur l’actuelle rive droite du Rhône existait vers l’an mil une villa dite de Lavatorium (lavoir). On constate que le rédacteur a interprété le terme du Lavour original. Cette villa devait être une réminiscence d’une villa gallo-romaine qui, à l’époque, était en communication directe avec Chanaz. Le Rhône faisant alors probablement un méandre en rive droite actuelle en empruntant l’actuel tracé du Séran dans le marais de Lavours et, plus en amont, la fin de l’actuel canal de Savières. Elle fut offerte en 1139 par les Clermont à l’abbaye de Hautecombe. Jusqu’en 1516, Lavours et Chanaz, ne faisaient qu’une seule et même paroisse, cure et église se situant à Chanaz. Selon dom Romain Clair, historien de l’abbaye de Hautecombe, un pont sur le Rhône aurait existé de 1298 à 1320 pour rallier cette grange de Lavours. Il est probable qu’il se situait sur le site de l’actuel barrage de Lavours, là où devait se trouver un seuil franchi par le Rhône, et aussi le « gué dit de César » de la tradition populaire.
  • De 1601 (traité de Lyon) à 1760 (traité de Turin), les terres de Chanaz devinrent françaises.
  • La maison forte de Boigne fut, un temps, nommée la Grand-Maison. Le comte Jean-Baptiste Muffat de Saint-Amour, marquis de Thônes, l’acquit en 1744. Et c’est un de ses frères, Jean-Pierre, qui fut au service de l’Autriche.
  • Deux industries s’installèrent à Chanaz. A compter de 1840, on exploita un filon de minerai de fer. 4 mines étaient exploitées en 1855. En 1860, c’est la pierre à chaux qui fut recherchée. D’abord à ciel ouvert, puis en souterrain. Un four était construit le long de la voie menant à Conjux. Son exploitation fut arrêtée en 1948.

Château de Lucey

  • Il est fait mention du château de Lucey vers 1296. En 1392, il est inféodé à Louis de Chevelu. Erigé, au bénéfice des de Mareste, en baronnie en 1563, puis en marquisat en 1654. Adjugé en 1816 à Félix Cottarel qui le cède au comte de Boigne en 1817, ou 1824.
  • Dans cette zone, ce château a été précédé par un autre qui devait contrôler les voies antiques du secteur : celle en provenance de Yenne et celle reliant Billième et Jongieux à Saint-Pierre-de-Curtille. Sur la mappe, il est nommé « Château Serrasin ». On peut donc supposer qu’il s’agissait d’une forteresse édifiée à l’époque romaine. Tout comme celle de Culoz-Châtel d’en haut, et probablement celle de la tour octogonale du château du molard de Lavours.
  • Deux témoignages des implantations romaines en ces lieux ont été regroupés au château. L’un, découvert en 1844 aux Puthods, daté de la seconde moitié du IIe siècle, est une dédicace de Severianus à Mythra, dieu solaire d’origine iranienne, et donc, comme à Conjux, d’origine orientale. L’autre autel, est une dédicace du IIe siècle de Quintus Carminius Bellicus, dont on observe que le cognomen (surnom) a pour racine belli, évoquant une probable origine à Belley (Belisama). Cet autel servait de cuve baptismale dans l’ancienne église de Lucey, démolie au XIXe siècle, et remplacée par celle aujourd’hui existante, terminée en 1851, construite, avec son clocher à bulbe (terminé dès 1837), aux frais du fils du général de Boigne.
  • Enfin, toujours aux Puthods, a été trouvé un bloc calcaire qui devait servir de poids-étalon de 100 livres. Dédicacé à Mercure par Spirniolusus.
  • Le Biez (bief) Blanc, que la voie antique Yenne-Seyssel jouxtait sur plus d’1,5 km, a dû être équipé d’artifices tout au long de son cours, depuis l’époque romaine. En 1822, 11 moulins y étaient aménagés.